Un voyage dans l’espace, voilà ce qui constitue le rêve de millions de personnes sur Terre. Toucher l’inconnu, se rapprocher d’une certaine plénitude et en quelques sortes ressentir une part de vérité hypothétique sont des sentiments que l’on espère ressentir, ou du moins des motivations liées au fait de quitter la Terre.
Pourtant, il est fréquent que la vérité soit très différente, et parfois même contraire. Certaines personnes, astronautes ou non, ressentent une grande tristesse et ce qui s’apparente à un changement de conscience, en quittant l’atmosphère de notre planète bleue. Ce sentiment surprenant, en réalité assez commun, s’appelle l’effet de surplomb (ou “overview effect” en anglais) et a touché de grands noms tels que Yuri Gagarine pour ne citer que le plus connu.
Le témoignage de William Shatner
William Shatner est un cinéaste canadien de 91 ans. Il a pu profiter d’un vol commercial dans l’espace, à bord du Blue Origin, la navette spatiale de Jeff Bezos. Ce qui semblait être un coup de folie de millionnaire – et qui l’a réellement été – s’est au final transformé en une expérience emplie d’humilité, en plus d’en faire la personne la plus âgée à se rendre dans l’espace.
Son témoignage, relaté par Variety, débute par les préparatifs du vol jusqu’au décollage de la navette spatiale.
Ce type de voyage n’est pas un vol anodin et malgré 11 vols de préparation, de nombreux autres briefings et les paroles rassurantes incessamment répétées par le personnel au sol, le sentiment de ne pas être prêt était très largement présent dans l’esprit de William Shatner.
Une des scènes relatée par le millionnaire canadien est quand on lui présente une salle petite et bétonnée, remplie de réservoirs d’oxygène. Il pose alors la question de l’utilité de cette dernière et on lui répond qu’il s’agit du SAS de sécurité si la navette venait à exploser. Pas forcément le type d’information auquel il s’attendait et qui montre que, peut-être, il n’avait pas pleinement conscience des risques que constituent un voyage dans l’espace.
Lors des simulations d’avant décollage, il n’arrivait pas systématiquement à réaliser les gestes nécessaires, comme le fait de s’harnacher à son siège lorsque l’apesanteur se fait ressentir. Malgré tout, le jour du décollage arriva et ce dernier eut lieu comme il est souvent représenté dans les films, à savoir une succession de poussées fortes, menant à une accumulation de force G.
Tout d’abord passable, voire excitant, au-delà de 2 G, on commence à sentir une forte pression désagréable, voire inquiétante, témoigne-t-il. Toujours est-il que tout se passe bien et que tout d’un coup, tout prend fin et voilà qu’on passe instantanément à 0 G, en apesanteur, à flotter.
L’effet de surplomb ou le sentiment renvoyé par le vide de l’espace
C’est pile à cet instant, suspendu dans le temps (et littéralement l’espace) que l’on s’attend à contempler le plus beau tableau jamais dépeint, la bouche ouverte et emplie d’une grande émotion. On s’attend à une expérience magique, presque surnaturelle, que seuls une poignée de privilégiés ont eu la chance de ressentir.
Pour William Shatner, il est fut tout autrement. Alors que ses camarades de vols jouaient avec l’apesanteur, sautant, roulant et réalisant des figures dans la navette, il se dirigea directement vers la fenêtre de cette dernière.
Et on plongeant son regard vers l’espace, il n’y vit aucun émerveillement. Au contraire, il ne perçut que le vide de l’espace, ou la mort comme il le décrit. Un vide froid, sombre, noir. Unique car très différent de tous les noirs que l’on peut connaître sur Terre. Un noir envoûtant, enveloppant, presque envahissant.
En tournant cette fois son regard vers la Terre, il y perçut tout l’inverse : une lumière nourrissante, bienveillante, vivante. Il était entrain de quitter ce cocon de vie, rassurant, pour se rendre dans le vide absolu, dans la mort.
Il réalisa alors qu’il avait, selon lui, eut faux sur toute la ligne. Toutes ses attentes, probablement relayées par le cinéma, étaient en réalité erronées.
Il décrit le sentiment qu’il éprouva alors comme celui d’un deuil, le plus fort qu’il ait jamais ressenti. Le contraste entre la beauté et l’oasis de vie que représente la Terre dans cette immensité de vide l’a empli d’une tristesse profonde.
La prise de conscience qui suit l’effet de surplomb
Comment peut-on détruire notre si belle planète alors qu’elle est si unique ? Pourquoi ne réagit-on pas à l’extinction de nombreuses espaces animales et de la flore et la faune alors qu’il a fallu attendre 5 milliards d’années pour voir de telles évolutions ? L’impact négatif de l’Homme devint si évident, si réel que cela l’a empli d’effroi. Ce voyage d’une vie se transforma en un enterrement selon ses propres termes.
Outre ce sentiment mélancolique de la situation sur Terre, ce dernier peut s’étendre à bien plus d’éléments comme la notion de pays, d’ethnies ou encore de religions. Le sentiment d’harmonie devient tellement fort et concret qu’il prend le dessus sur tous les éléments centraux de notre civilisation moderne, qui viennent en réalité créer de la distance entre les humains.
Au final, après un enchainement de sentiments, l’optimisme reprit le dessus et l’octogénaire canadien ressentit un sentiment d’espoir en pensant à la beauté et aux possibilités offertes par la collaboration humaine et à tout ce que pouvaient apporter les différences de chacun.
Car même s’il a ressentit cette insignifiance qui nous caractérise, il a également eu conscience de cette dernière et c’est peut-être ça le plus beau. Nous avons conscience de notre insignifiance car nous avons conscience de la grandeur de tout ce qui nous entoure. Peut-être qu’au final, la salvation de la Terre se trouve quelque part cachée dans ce sentiment.
Un sentiment plus commun que l’on ne le pense
Cet effet de surplomb, ce sentiment de fragilité de la planète qui s’installe dès lors que l’on quitte cette dernière est presque une réaction instinctive.
Plusieurs astronautes – pourtant parfaitement entrainés – ont témoigné avoir ressenti ce dernier. Yuri Gagarine en fait partie, mais aussi de nombreux astronautes américains et canadiens tels que Rusty Schweickart, Edgar Mitchell, Tom Jones ou Chris Hadfield.
Toutefois, même s’il est fréquent, il n’est pas non plus systématique. Il aurait probablement été positif pour l’humanité que de grosses fortunes, comme Jeff Bezos par exemple, ait ressenti ce dernier. Peut-être alors aurait-il eu un impact plus positif sur la société.
Pour en savoir plus sur le sujet, un podcast de la NASA (en anglais) existe sur le sujet.